![]() Classée 54e par Transparency International dans son indice de perception de la corruption, la République tchèque est régulièrement critiquée pour l’étendue de sa corruption. Le pays fait ainsi moins bien que ses voisins européens, le système judiciaire fonctionnant par exemple bien mieux en Pologne selon Jiří Boudal. La République tchèque fait en effet figure de cas à part d’après Václav Láska, en raison principalement de l’étendue et de la dimension des pots-de-vin et du caractère systémique de ce phénomène faisant partie intégrante de la société et n’étant pas l’œuvre d’un individu ou d’un groupe isolé. Il poursuit en expliquant que les partis politiques vivent de ces pots-de-vin et la campagne électorale de 2010 en est justement un bon exemple, le nombre de panneaux publicitaires ayant été totalement disproportionnés par rapport aux comptes de campagne de certains partis. De même, les appels d’offre sont plus chers qu’ailleurs, faisant ainsi des autoroutes tchèques les plus chères d’Europe. De manière générale, les secteurs les plus dépendants de la commande publique, à savoir la construction, l’armement et l’énergie apparaissent comme les milieux les plus atteints par la corruption. Pour rendre plus intelligible ce phénomène, Jiří Boudal propose de l’illustrer par un schéma représentant un cercle fermé reliant
en pointillé trois acteurs : les parrains, les politiques et les
fonctionnaires, tous ponctionnant une partie de l’argent public. « Dans
les pays d’Europe de l’Ouest, il existe des lois entre ces pointillés empêchant
la création de ces liens », précise-t-il « mais ces dernières
manquent en République tchèque », donnant ainsi en exemple la loi sur la
fonction publique empêchant les hommes politiques de licencier un
fonctionnaire. Condition d’intégration dans l’Union européenne, la République
tchèque repousse sa mise en application depuis maintenant dix ans. Que faire dès lors pour endiguer ce phénomène et casser ces liens clientélistes ? Pour V. Láska, cela passe notamment par l’engagement politique - il a d’ailleurs été
candidat aux élections législatives de 2013 pour le parti des Verts. Jiří Boudal et Štěpán Rattay ont choisi une autre voie, celle du lobbying
dans des ONG. A travers l’initiative Rekonstrukce státu, Jiří Boudal explique que
les différentes ONG à l’origine du projet ont cherché à faire du lobbying
d’expertise en proposant neuf lois pour rendre la vie politique et économique
plus transparente. Avec un certain succès : 165 députés des 200
nouvellement élus ont ainsi signé ce projet. Cette notoriété a été possible par
ailleurs par une mobilisation de l’opinion publique via des happenings qui ont
été par la suite relayés par les journaux télévisés et qui ont ainsi incité les
hommes politiques à s’engager en sa faveur.
Au niveau local aussi, des progrès sont réalisés mais selon des modalités différentes tel que le changement par le bas ou « grass root ». L’attention des associations locales aux activités anti corruption s’est développée au fur et à mesure des contacts avec les élus, a expliqué Štěpán Rattay de l’ONG Oživení. A l’origine, ces associations avaient des objectifs radicalement différents (urbanisme, environnement…) et la difficulté à récolter de l’information sur les projets municipaux, jusqu’alors souvent opaques les ont ainsi poussées à s’emparer des questions liées à la corruption et à exiger davantage de transparence. Depuis, l’ONG Oživení a cherché à accompagner ces associations et a créé une plate-forme pour échanger sur les meilleures pratiques de négociation avec les municipalités.
Enfin, au-delà du nécessaire changement du cadre législatif, les intervenants s’accordent pour dire que les mentalités doivent changer et que cela prendra du temps, probablement avec l’arrivée d’une nouvelle génération. Changer les mentalités passe entre autres selon Václav Láska par la publicité des scandales de corruption et surtout des condamnations. C’est en effet justement grâce au journalisme d’investigation que la corruption est devenue un thème très présent dans la vie publique ces dernières années. Le débat a été modéré par Martin Polívka, président de l’association ČSMPF. ------ [2] coordinateur du projet Rekonstrukce státu, analyste à Frank Bold (anciennement Service juridique écologique), co-fondateur de l’initiative étudiante Inventaire de la démocratie [3] économiste et membre de l’association Oživení qui constitue l’une des plus anciennes ONG de veille sur la corruption en République tchèque
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