Rencontre du Premier ministre tchèque avec les étudiants tchèques à Paris

Datum přidání: May 03, 2016 4:44:53 PM

Le rendez-vous a lieu à dix heures trente devant le bâtiment du Centre tchèque, 18 rue Bonaparte. La garde surveille à l’entrée et les perdants de la bataille d’Austerlitz se rassemblent des deux côtés de la rue bloquée. Des légionnaires et des Sokols (membres du mouvement gymnastique nationaliste tchèque fondé en 1862) se mettent en ligne ayant chacun un étendard dans la main et attendent au garde-à-vous. Des journalistes se précipitent autour de la foule, se penchent pour ramasser des parties de leur équipement tombées par terre et cherchent à s’introduire dans les premiers rangs. A 11 heures, le cortège des voitures noires aux vitres blindées s’arrête devant le Centre tchèque laissant descendre les représentants des deux camps: jadis, hostiles, à l’époque de l’Empire d’Autriche, aujourd’hui d’exquis partenaires politiques et commerciaux.

Bohuslav Sobotka, le Premier ministre tchèque, est en visite à Paris le 24 mars. Il ne s’agit pas de congé, et si c’était le cas, il n’en profite certes pas pleinement – dû au travail qui l’attend. Sa première escale se déroule au centre tchèque, où se tient la conférence avec les étudiants tchèques, organisée en coopération avec l’Association Etudiants et Jeunes Professionnels tchèques en France (EJPTF) et le cabinet du Premier ministre.

L’année 2016 extraordinaire par son caractère bissextile mais pas uniquement: cela fait cent ans que le Comité Nationale Tchèque composé de T. G. Masaryk, E. Beneš et M. R. Štefánik a été assiégé dans le bâtiment devant nous. Ici, les fondements de la future Tchécoslovaquie ont été posés. L’hymne française et tchèque sont chantées. Le Premier ministre s’empare du microphone pour saluer Son Excellence Marie Chatard, ambassadrice tchèque à Paris, le préfet français et d’autres invités. A la suite de l’échange de compliments entre les politiciens des deux pays, le dévoilement du tableau commémoratif sur le mur du Centre tchèque et le cocktail ont lieu. Dans le même temps et quelques étages plus haut, la conférence se prépare. « Je fais des efforts pour que les relations entre la France et la République Tchèque se développent. Je crois que j’ai de bonnes origines pour cela car j’ai passé une grande partie de ma vie à Austerlitz », plaisante Sobotka en entrant. L’idée d’une telle rencontre avec les étudiants provient du Premier ministre lui-même. Le débat, dont les sujets ont été choisis par les étudiants, se résume en trois parties thématiques: l’échange entre étudiants et spécialistes, l’effet de la crise migratoire et les perspectives économiques de la République tchèque au sein de l’UE. Entre la fuite et le retour des cerveaux

La situation dans l’enseignement supérieur tchèque n’est pas critique, par opposition à d’autres pays de l’Europe centrale et orientale. Les Universités Charles de Prague et Masaryk de Brno n’ont pas perdu, jusqu’à présent, leur splendeur aux yeux des étudiants tchèques. Au contraire, elles continuent à attirer les étudiants étrangers originaires de la Slovaquie, l’Ukraine ou la Russie, qui bénéficient ainsi d’une formation de qualité gratuitement. Pourtant, il semble que la peur règne dans le gouvernement tchèque en vue de l’évolution de la réputation des Universités tchèques: « Des conditions salariales sont dans un état ignoble », avoue le Premier ministre. « On se trouve dans la situation où nous ne pouvons pas nous permettre de payer des experts étrangers dans les Universités publiques. Par conséquent, nos Universités deviennent strictement nationales, ce qui est un problème. » En l’absence d’experts étrangers, et donc d’étudiants étrangers, la menace que la République tchèque sorte du contexte européen est réelle. Ces imperfections, non sans lien avec la faiblesse de la couronne tchèque (monnaie) maintenue artificiellement par la Banque nationale tchèque, sont compensées par l’introduction des technologies de haute qualité et par la réduction des barrières administratives pour les chercheurs du monde entier.

La question de la migration des étudiants tchèques vers l’étranger n’a pas de priorité dans les débats gouvernementaux. Selon Sobotka, il s’agit du potentiel que la République tchèque oublie d’exploiter – la fuite des cerveaux (les jeunes Tchèques qui s’installent à l’étranger pour y demeurer) est vue comme étant une certaine forme de défaite dans la réalité de la chute démographique tchèque.

Toutefois, les changements politiques vers une incitation du retour des cerveaux ne sont pas prévus. Par conséquent, la question de l’instauration des bourses à l’image de la Chine ou de l’Inde reste également sans réponse. C’est ainsi que la République tchèque reste refermée sur elle-même. D’un côté, certains étudiants aimeraient partir effectuer des cycles entiers d’études à l’étranger, mais ne le peuvent pas, et de l’autre côté, il y a des étudiants partis à leurs frais ou grâce à la bourse étrangère, avec lesquels la patrie a interrompu le contact. L’étude statistique effectuée par le Sénat tchèque en coopération avec l’association EJPTF apporte des résultats inquiétants: deux tiers des étudiants ou profesionnels tchèques de moins de 30 ans vivant à Paris interrogés ne comptent pas retourner en République tchèque. Les raisons étant la récompense insuffissante des expériences acquises, la situation politique ou encore l’impression d’une « deuxième émigration ». « Moi, je suis libéral dans cet optique. Lorsque quelqu’un veut partir étudier à l’étranger, qu’il parte. Je n’aime pas l’idée de le conditionner de façon à ce qu’on le soutienne seulement s’il s’engage à travailler cinq ans dans notre patrie après ses études », assume le Premier ministre.

Réaction allergique

En lien avec le renfermement de la République Tchèque sur elle-même, Sobotka emploie l’expression de « réaction allergique » faisant allusion aux événements au Proche et Moyen Orient. Ce terme topique pointe du doigt la politique migratoire des pays du Groupe de Visegrád qui a choisi une manière très particulière de faire canaliser les migrants de son territoire. Ici, la divergence avec la politique migratoire européenne globale se fait sentir, dont les traits essentiels sont la perplexité et, au niveau officiel, l’admission hésitante des migrants. La politique « propre » du Groupe de Visegrád est un exemple de risque découlant d’un morcellement du territoire de l’UE. Le problème majeur (étant l’un des sujets de la rencontre de Sobotka avec Valls et Hollande) est le changement de conception des pays de l’Europe centrale – la République Tchèque n’est plus connue pour son équipe de hockey et la bonne bière, la Pologne pour sa ténacité, la Slovaquie pour brynza et halušky (plat traditionnel) et la Hongrie pour son goulash – l’approche de ces pays à l’égard de la crise migratoire est devenue synonyme d’intolérance et de xénophobie. Dans le cas où ce sentiment persiste et se confirme, qui de l’UE voudra prochainement venir étudier ou enseigner « à l’Est » en République tchèque?

Quoi faire avec l’argent ?

La République tchèque est aujourd’hui le modèle de la prospérité – l’accroissement du PIB (2% en 2014), le chômage bas (7,5% en 2014), les budgets publics stables et excédent de commerce international. L’état actuel de l’économie tchèque est dû au travail de la Banque nationale tchèque sur laquelle pèse la décision de maintenir le taux de change fixe entre la couronne tchèque et l’euro: de ce fait, l’exportation des biens et des services est favorisée et les investissements sont accrus. Dans l’optique tchèque, on n’a pas de quoi se plaindre tant qu’on achète à la maison. Néanmoins, si une personne recevant un salaire tchèque décide de partir dans la zone euro pour dépenser, son porte- feuille perd en volume nettement plus vite. Une telle personne est donc contente de rentrer en République tchèque. En revanche, peu de Français ou d’Allemands, à l’exception des entrepreneurs, voudraient venir travailler en République tchèque sans avoir la volonté d’y rester définitivement, car le niveau de rémunération en France ou en Allemagne est incomparable avec le niveau tchèque. Hormis l’enseignement, on peut donc également à l’économie tchèque attribuer le prédicat « nationale ».

L’absence d’experts étrangers dans l’enseignement supérieur, l’accroissement du protectionnisme, la prise de distance envers les cultures mal connues, le contrôle plus stricte des frontières intérieures de l’UE – justifie dans tous les sens du terme, le «renfermement». C’est pour cette raison que la libération du taux de change par la Banque nationale tchèque, prévue pour 2017, semble être un moment crucial dans le sens de l’ouverture de la République tchèque aux pays de la zone euro. Il s’agit d’un acte qui pourrait aider les Tchèques à raisonner non seulement au niveau national, mais aussi au niveau européen. Cela permettrait probablement d’éviter l’étiquette d’une nation tchèque entêtée et xénophobe, une étiquette qui commence à surgir dans la société française à tout moment quand on parle de la République tchèque.

La frontière entre la sécurité et la liberté est très floue. Elle dépend de l’opinion publique et de la situation politique, dans laquelle les médias jouent le rôle du garde-frontière. Le principe est simple – si nous avons peur, renfermons-nous, peu importe que nous mêmes nous mettons le collier ; autrement si nous nous sentons bien en sécurité, nous aimons nous relâcher peu à peu la laisse. La question de la censure au nom de la sécurité reste un instrument commode de manipulation des masses. « Au gouvernement, on mène un débat vif au sujet de la régulation de certains services en ligne, notamment les jeux de hasard. D’après moi, plutôt que de censurer Internet – on vit dans un Etat démocratique – il est important d’apprendre aux gens à travers le spectre des âges à réfléchir et à s’orienter sur Internet. Il faut expliquer que pas toutes les informations proposées via les réseaux sociaux ou commerciaux ne sont fiables », dit Sobotka à l’issue de la conférence. Sa conviction peut se généraliser: l’aléa ne disparaîtra pas tant qu’on interdit d’en parler – il faut le discerner et l’éviter. On parle de l’aptitude de raisonnement critique dont on a un besoin extrême de nos jours de « sur-charge en informations ».

A midi trente, tout est fini. Bohuslav Sobotka se retire pour le déjeuner avec Manuel Valls. Soudain, il se tourne et sourit: « Retournez en République tchèque, tôt ou tard ».

Texte/Photo: Aleš Bartoš

Photo - source: www.vlada.cz